Une série de rencontres diplomatiques majeures cette semaine en Asie illustre l’émergence d’un nouvel ordre géopolitique où la Chine et la Russie consolident leur partenariat stratégique, reléguant l’Europe au second plan des affaires mondiales.
Un axe Pékin-Moscou renforcé
Du 31 août au 1er septembre, le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Tianjin a réuni les dirigeants de dix pays membres, dont Vladimir Poutine, Xi Jinping et Narendra Modi. Cette rencontre, la première du Premier ministre indien en Chine depuis sept ans, marque un rapprochement significatif entre les trois puissances asiatiques malgré les pressions américaines.
Le 3 septembre, Pékin a organisé une cérémonie grandiose pour commémorer le 80e anniversaire de la victoire contre le Japon, en présence de 26 chefs d’État du Sud global. L’absence notable de tout dirigeant occidental contraste avec la présence de Poutine, soulignant l’isolement croissant de l’Occident dans cette région.
Parallèlement, le Forum économique oriental de Vladivostok met en avant la stratégie russe de développement de l’Arctique et de l’Extrême-Orient, complétant l’initiative chinoise “Go West” lancée en 1999.
L’Europe marginalisée
Ces développements interviennent alors que l’Europe traverse une crise d’influence sans précédent. Selon des analystes géopolitiques, le Vieux Continent a perdu sa capacité d’action autonome, particulièrement depuis la destruction des gazoducs Nord Stream qui l’a rendu totalement dépendant du gaz américain.
“L’Europe n’est plus perçue comme un acteur géopolitique indépendant par Moscou et Pékin, mais comme un simple prolongement de la politique américaine”, explique un diplomate européen sous couvert d’anonymat.
La dépendance énergétique européenne s’est dramatiquement accrue depuis le début du conflit ukrainien. Les importations de gaz naturel liquéfié américain ont bondi de 137% en 2022-2023, remplaçant les approvisionnements russes qui représentaient auparavant 40% de la consommation européenne.
Un nouveau poids économique
Les chiffres économiques renforcent cette tendance. Les pays des BRICS affichent désormais un PIB combiné supérieur au double de celui des États-Unis, tandis que l’utilisation du dollar dans les échanges commerciaux intra-BRICS a chuté de 65% depuis 2022.
Des sources proches des négociations évoquent même des discussions entre industriels américains et russes à Vladivostok, notamment concernant le retour possible d’ExxonMobil dans le projet gazier Sakhaline-1. Ces rumeurs, si elles se confirmaient, marqueraient un tournant majeur dans les relations économiques russo-américaines.
L’Inde au centre du jeu
Le rapprochement de l’Inde avec ses partenaires chinois et russe constitue un défi particulier pour la stratégie américaine en Indo-Pacifique. Malgré les tensions commerciales imposées par Washington, New Delhi semble privilégier ses intérêts énergétiques et économiques régionaux.
“L’Inde achète désormais 85% de son pétrole à la Russie contre 2% avant 2022”, note un rapport du Peterson Institute for International Economics. Cette réorientation commerciale illustre les limites de l’influence occidentale sur les puissances émergentes.
Vers un nouvel équilibre mondial
Pour les observateurs, ces développements rappellent les théories géopolitiques classiques de Halford Mackinder sur le “Heartland” eurasiatique. L’alliance entre la Russie, la Chine et potentiellement l’Inde pourrait effectivement contrôler le cœur continental de l’Eurasie, réduisant l’influence maritime occidentale.
L’Europe, prise dans cette recomposition, voit son modèle économique et énergétique remis en question. Sa désindustrialisation accélérée, ses coûts énergétiques en hausse constante et sa dépendance technologique croissante envers les États-Unis limitent considérablement ses options stratégiques.
Cette semaine marque ainsi un tournant dans l’architecture géopolitique mondiale, où l’axe eurasiatique affirme sa cohésion face à un Occident de plus en plus fragmenté entre les intérêts américains et les contraintes européennes.