PÉKIN – Les principales entreprises solaires chinoises ont discrètement licencié environ un tiers de leur main-d’œuvre en 2024, selon une analyse de Reuters des rapports financiers publics, illustrant les conséquences dramatiques d’une stratégie industrielle dirigée qui a créé une surcapacité mondiale massive.
Longi Green Energy, Trina Solar, Jinko Solar, JA Solar et Tongwei ont collectivement supprimé environ 87 000 emplois, représentant 31% de leurs effectifs combinés. Ces réductions d’effectifs, largement passées sous silence par les entreprises concernées, révèlent l’ampleur de la crise traversée par un secteur que Pékin avait désigné comme moteur stratégique de croissance.
Une surcapacité structurelle critique
La Chine produit actuellement deux fois plus de panneaux solaires que la demande mondiale, créant un déséquilibre fondamental qui érode la rentabilité de l’ensemble du secteur. Cette surcapacité résulte d’une stratégie gouvernementale qui a massivement redirigé les investissements de l’immobilier vers trois secteurs identifiés comme “nouveaux moteurs de croissance” : le solaire, les véhicules électriques et les batteries.
“L’industrie est en déclin depuis fin 2023. En 2024, c’était pire. En 2025, ça empire encore”, observe Cheng Wang, analyste chez Morningstar, soulignant la détérioration continue du secteur.

Un effondrement financier sans précédent
L’ampleur de la crise financière dépasse les cycles habituels de surcapacité chinoise. Le secteur a perdu 60 milliards de dollars en 2024, avec plus de 40 entreprises solaires ayant fait faillite, été rachetées ou retirées de la cote selon l’association de l’industrie photovoltaïque.
“Il y a toujours eu des surcapacités en Chine — acier, ciment — mais jamais une industrie entière ne perdait de l’argent pendant un an et demi d’affilée”, constate Alan Lau, analyste chez Jefferies, qui estime qu’une réduction de 20 à 30% des capacités serait nécessaire pour restaurer la rentabilité.
Les limites du dirigisme économique
Cette crise illustre les dysfonctionnements inhérents au modèle de croissance dirigée chinois. La stratégie de stimulation centralisée, efficace en phase d’expansion, génère des déséquilibres structurels lorsque la demande externe faiblit ou que les marchés d’exportation se ferment via des tarifs douaniers.
Les autorités locales, évaluées sur la croissance et l’emploi régional, résistent aux directives nationales de réduction des capacités. Ainsi, malgré l’interdiction de nouveaux projets imposée par la Commission nationale du développement et de la réforme en février, Trina Solar a lancé de nouveaux projets dès juin dans la province d’Anhui.
Tentatives de correction tardives
Pékin tente désormais d’inverser la tendance par des mesures dirigistes. En juillet 2025, les prix du polysilicium ont bondi de 70% suite aux signaux de réduction de capacité. Le producteur GCL propose la création d’une organisation de type OPEP pour contrôler l’offre, accompagnée d’un fonds de 50 milliards de yuans pour racheter et fermer les capacités obsolètes.
Cependant, ces corrections interviennent tardivement face à une demande domestique faible et un essoufflement de la demande internationale, aggravés par les barrières commerciales américaines.
L’opacité statistique officielle
Le silence officiel sur l’ampleur des licenciements s’inscrit dans une tendance plus large d’opacité statistique. La Chine maintient un taux de chômage officiel de 5% inchangé depuis cinq ans, malgré les suppressions d’emplois massives documentées dans plusieurs secteurs.
Cette approche reflète la sensibilité politique du chômage en Chine, où l’État associe l’emploi à la stabilité sociale. Les licenciements sont souvent masqués par des départs “naturels” résultant de réductions d’heures et de salaires.
Un modèle économique en question
L’effondrement du secteur solaire questionne la viabilité du modèle économique chinois basé sur la planification centrale et l’allocation dirigée des ressources. Après l’immobilier, le solaire devient le deuxième secteur “stratégique” à connaître un ajustement brutal.
“On sait qu’il faut réduire la capacité, mais personne ne veut être le premier à tuer sa propre économie locale”, confie un cadre d’un fabricant solaire, illustrant les tensions entre objectifs nationaux et intérêts régionaux.
Implications pour l’économie mondiale
Cette crise du solaire chinois a des répercussions mondiales. La guerre des prix provoquée par la surcapacité affecte les producteurs internationaux, alors que les tentatives chinoises de correction pourraient paradoxalement stabiliser les prix mondiaux.
L’industrie solaire globale observe attentivement les efforts chinois de consolidation, qui pourraient redéfinir les équilibres du marché mondial de l’énergie renouvelable.
Perspectives d’évolution
L’avenir du secteur solaire chinois dépendra de la capacité des autorités à surmonter les résistances locales et à imposer une rationalisation douloureuse mais nécessaire. Le succès ou l’échec de cette consolidation pourrait influencer l’approche chinoise dans d’autres secteurs stratégiques comme l’automobile électrique.
Cette crise révèle les limites fondamentales d’un modèle de croissance qui privilégie l’expansion quantitative au détriment de l’efficacité économique, posant des questions sur la durabilité à long terme de la stratégie industrielle chinoise.