L’Inde, troisième importateur mondial de brut, est devenue un champ de bataille énergétique. Cette semaine, Indian Oil Corporation (IOC), le plus grand raffineur du pays, a décidé de renoncer au pétrole américain pour se tourner vers des cargaisons du Moyen-Orient et d’Afrique de l’Ouest. Un choix pragmatique dicté par les prix et les arbitrages logistiques, mais qui révèle une réalité plus profonde : derrière chaque décision commerciale se cache une guerre de l’ombre entre puissances pour contrôler les flux énergétiques.
La semaine précédente, IOC avait pourtant acheté 5 millions de barils de West Texas Intermediate (WTI) américain. Mais cette fois-ci, les traders indiens ont opté pour 2 millions de barils d’Afrique de l’Ouest, 1 million de barils de bruts nigérians Agbami et Usan, ainsi que 2 millions de barils du Moyen-Orient, dont du brut d’Abu Dhabi vendu par Shell. Dans cette danse stratégique, chaque cargaison est une pièce sur l’échiquier mondial.
Les achats indiens ne sont dictés ni par loyauté ni par idéologie, mais par l’économie pure. Lorsque les prix des bruts moyen-orientaux comme le Dubai ou le Murban s’envolent, New Delhi ouvre la porte aux cargaisons américaines, plus compétitives grâce aux coûts de fret. Puis, dès que le rapport de forces change, l’Inde réoriente son appétit vers le Golfe ou l’Afrique. Ce pragmatisme est vital pour un pays qui dépend à plus de 80 % des importations pour alimenter son économie et maintenir en vie son appareil industriel.
Washington espère profiter de ces flux pour réduire son déficit commercial avec l’Inde et renforcer les liens stratégiques. Mais la réalité est crue : New Delhi ne compte pas renoncer au pétrole russe, malgré les pressions américaines. Au contraire, les raffineurs indiens prévoient d’augmenter leurs importations de brut russe en septembre, attirés par des rabais croissants liés à la paralysie des raffineries russes frappées par des drones ukrainiens.
Ainsi, l’Inde poursuit sa politique de funambule : acheter américain pour calmer Washington, continuer de charger du pétrole russe à prix cassés pour assurer sa compétitivité, et garder le Golfe comme fournisseur incontournable. Ce jeu d’équilibriste n’est pas qu’une manœuvre commerciale : il illustre une vérité immuable. Sans énergie abondante et bon marché, aucune économie moderne ne peut survivre.
Dans ce monde fragmenté, où chaque baril devient un enjeu de pouvoir, la guerre de l’ombre pour sécuriser l’accès à l’énergie est la véritable matrice des tensions internationales. On parle de droits de l’homme, de démocratie ou de géopolitique, mais derrière le vernis, tout se résume à cela : qui contrôle l’énergie contrôle la civilisation.